Sunday 3 November 2013

Co-écriture : "Aymie et l'Ogre" - Le début de la suite


AYMIE ET L’OGRE

UNE NOUVELLE DE PAULINA STRANGE ET THE ROB

AVEC : AYMIE CHARKSTONE ET MORPEUG L’OGRE
DANS LEURS PROPRES RÔLES 

- Partie ii -


Le garçon se pétrifia, puis leva lentement les yeux, la bouche grande ouverte.
« Euuuh… bégaya-t-il. V… vous êtes le… propriétaire du véhicule ? »

« Et pis ? »
    Il y avait quelque chose de terriblement menaçant dans ces deux mots, prononcés sur un ton caverneux.
    Aymie était pétrifié. L'individu le toisait de toute sa hauteur (au mois deux fois sa taille).
« T'as un problème, minus ? »
    Le garçon détacha son regard d'une boucle de ceinture prête à craquer sous le poids de son ventre proéminent pour lever les yeux vers le visage de l'individu.
    Sur celui-ci s'étalait une large bouche féroce, dont le rictus dévoilait deux rangées de dents acérées autant que jaunies. Deux points noirs d'encre le dévisageaient alors qu'un souffle puissant sortait de son nez porcin. L'ogre (car c’en était visiblement un) dégageait une odeur nauséabonde, à moins qu'il ne s'agisse simplement de l'odeur habituelle des bas-fonds de Kartacsie. Il tenait dans une immense main droite une chope de bière qu'il vida d'une gorgée avant de toiser à nouveau Aymie.
« Euh... votre carriole est en infraction... Votre procès verbal s'élève à un million de piensetans et euh...  Aymie fit mine de vérifier ce qu'il avait inscrit sur son carnet — emprisonnement à perpétuité. Vous souhaitez régler en espèces ou en quatre fois avec 15% de frais ? » ajouta-t-il d'une petite voix étranglée.
    L'ogre jeta sa choppe par dessus son épaule et abattit sa main sur l'épaule du garçon. On entendit un bruit de verre brisé lorsque la chope alla s'encastrer dans l'unique fenêtre de la taverne dont il venait de sortir et d'où s'éleva une flopée de jurons et de « Ouah l'autre !* » outrésAymie se raidit et ferma les yeux, persuadé que sa dernière heure était venue.
    Quelques secondes passèrent.
    Trouvant la fin longue à arriver, Aymie se risqua à entrouvrir prudemment les paupières, pour découvrir de grosses larmes rouler sur les joues verdâtres de l'ogre. Bientôt, il éclata carrément en sanglots, sous les yeux éberlués du garçon.
    L'ogre paraissait soudain inconsolable, si bien qu'il sembla de mise de lui demander ce qui l'accablait tant.
« Ah mon p'tit gars, les temps sont rudes ! Ah, ça oui ils sont rudes... Son propos se perdit en un grommellement indistinct.
 Je dois prendre ça pour un règlement en quatre fois ? Tenta Aymie.
 T'as pas bien compris, mon p'tit gars. Enfin, t'as l'air d'un type bien, toi ! Viens là, je vais te raconter mon histoire... »
    Et sans attendre de réponse, il souleva Aymie de terre et l'embarqua à l'avant de sa carriole qu'il remit en route d'un grand coup de rênes. Aymie voulu protester d'un « Ouah l'autre ! », mais le bringuebalement de la carriole lui souleva le cœur.
« Ecoute, j'vais pas pouvoir payer. Y fut un temps, p't'êt', mais on m'a escroqué ! Maint'nant c'est la ruine...  Soupir  Tu t'rends compte ? S'exclama-t-il en donnant un grand coup de rêne, provoquant une secousse encore plus brusque que les autres, risquant de faire valser Aymie par dessus bord et d'embarquer un réverbère au passage.
« J'voulais me ranger. Pis y'a ce type qu'a proposé un business de cactus... Rigole pas, vu comme on se les arrachait à prix d'or la saison dernière quand c'était particulièrement à la mode, ça semblait un bon plan. Une affaire qui marche, et tranquille qu'y disait ! Tu parles ! Ca pousse pas ces cochonneries ! Ma femme m'avait bien dit que le sable d'ici, c'était pas Desertika... Avant, ma femme, elle tenait un bordel. C'tait une femme d'affaire respectable, tu vois ! »
    L'ogre étouffa un sanglot.
« C'est fini les p'tites tenues ! Y m'reste plus qu'ces maudits cactus qui poussent pas... Moi j'te l'dis, du temps du Chevalier de l'Apocalypse, ça s'rait jamais arrivé... Jamais ! »
    Aymie sursauta en entendant prononcer son ancien patronyme de chef de gang. Il regarda l'ogre plus attentivement et, malgré sa barbe crasseuse, reconnu un de ses anciens associés
« Morpeug ? »
    L'ogre arrêta violemment la carriole, emportant cette fois pour de bon un réverbère dans la manœuvre  Il regarda son passager comme s'il le voyait pour la première fois.
« C'est moi... Le Chevalier de l'Apocalypse... Repris Aymie pour combler le silence qui s'ensuivit.– La vache ! s'écria l'ogre, sous le choc. Je t'avais pas reconnu sans le manteau clouté ! Pis c'est quoi cette tignasse ridicule ? »


(à suivre)

[NdT : « Ouah l'autre », expression favorite des ivrognes et des mendiants de Kartacsie, le plus souvent utilisée pour exprimer son mécontentement]